Rencontre avec le scénariste et réalisateur des Indestructibles 2, Brad Bird, et les producteurs Nicole Grindle et John Walker.

L’histoire repose sur la dynamique de la famille : est-ce que cela a été difficile à équilibrer dans le contexte de super-héros ?

Brad Bird : Oui c’était un défi de le faire, mais ce sont ces changements de rythme qui rendent le film sympathique.

Nicole Grindle : Je crois que Brad a fait un super travail en utilisant les pouvoirs pour améliorer l’histoire de la famille et en utilisant les dons des super-héros. Cela permet d’aller plus loin que dans la vie réelle : le père est une figure paternelle et le plus fort de la famille, l’image de la force tandis que la mère est tiraillée dans toutes les directions, comme le pouvoir d’Elastigirl. Il y a une adolescente qui manque d’assurance et qui a envie de s’effacer, elle hérite alors d’un pouvoir d’invisibilité et d’un bouclier qui bloque les autres. Flash est un garçon qui a plein d’énergie et qui court dans tous les sens et enfin, il y a le bébé Jack-Jack qui est synonyme de possibilité infinie et dont on ne sait pas vraiment quel pouvoir il va conserver en grandissant.

Brad Bird : La règle en faisant ce film était de ne jamais faire quelque chose de banal. A chaque fois que l’on parle de super-héros, il faut chercher à revenir rapidement à la réalité et à ce qui est normal. Et quand on parle de la normalité, il faut rapidement retourner à l’aspect super-héros. Cet équilibre est le plus important dans les films Indestructibles.

Nous sommes aujourd’hui abreuvés de films de super-héros : quel impact cela a-t-il eu sur la création des Indestructibles 2 ?

Brad : Je crois que cela a un peu cassé mon enthousiasme (rire). Parce que faire ces films d’animation, cela prend des années et j’ai pensé il y a quelques temps déjà qu’il y avait trop de super-héros. Nous allions faire celui-ci après les autres, alors que les gens allaient s’en lasser. Cela m’a dérangé pendant… une heure (rire). Et je me suis rendu compte que si je voulais faire ce film, c’était pour utiliser le genre des super-héros pour parler des règles qui régissent la famille.

A une époque où les gros blockbusters sont réalisés de façon standardisée, est-ce que vous pouvez parler de votre mise en scène, qui évoque le cinéma d’auteur ?

John Walker : Oui, c’est un vrai auteur et un vrai réalisateur (rire)

Brad : Je vais probablement avoir la grosse tête ce soir, mais merci pour le compliment. Pixar est une entreprise extraordinaire, car elle aime les différences entre les cinéastes. Les différences ne sont pas un problème et sont célébrées. Les films de Pete Docter (Vice‑Versa, Monstres et Cie, Là-haut) sont différents des miens, tout comme ceux d’Andrew Stanton (Le Monde de Nemo, WALL·E, Toy Story), ceux de John Lasseter (Toy Story, 1001 Pattes, Cars) et ceux de Lee Unkrich (Coco, Toy Story 3). Je crois qu’il s’agit de la force du studio. Le court-métrage diffusé avant les Indestructibles 2, Bao, est réalisé par une nouvelle réalisatrice (Domee Shi) qui a aussi son propre style. J’adore travailler avec un studio qui célèbre ces différences et qui nous offre ces opportunités.

On a appris que John Lasseter allait quitter Pixar en fin d’année. Je voulais savoir comment vous avez pris la nouvelle et quelle influence a eu John Lasseter dans Les Indestructibles 1 et 2 ?

Brad : Il était très impliqué dans l’écriture et c’est un excellent conteur. Nous avons bénéficié de son talent dans ces films. Disney ne voulait pas vraiment faire le premier et John devait jongler entre les exécutifs de Disney et Pixar. Cela nous a donné l’opportunité de le faire et cela ne serait jamais arrivé s’il n’avait pas été là.

Nicole : Nous devons beaucoup à John pour avoir fondé le studio pour son influence sur les 20 films du studio qui ont été faits avec tous ces réalisateurs talentueux : Pete Docter, Lee Unkrich, Andrew Stanton… Ils sont toujours présents dans le studio et d’autres réalisateurs qui sont en train de développer leurs propres projets. C’est une période excitante pour Pixar et son futur est prometteur. Il y a beaucoup de potentiel, y compris avec Domee Shi, qui a créé Bao et qui va réaliser son premier long-métrage. Nous sommes ravi qu’une femme puisse faire cela.

On peut voir dans Les Indestructibles 2 qu’Usher fait un caméo. Comment s’est passée cette collaboration ? Et pourquoi fait-il cette apparition ?

Nicole : Oui en effet.

John : Son agent n’arrêtait pas de nous contacter. Il était tellement fan des Indestructibles qu’il rêvait de faire partie de la suite. On n’avait pas de rôle à sa taille mais nous lui avons proposé une petite apparition et cela s’est bien passé.

Brad : Usher s’est impliqué dans le film et c’est lui qui a eu l’idée du personnage qu’il incarne.

On peut voir des immeubles, et même un pont, tomber dans le film. Est-ce que ce sont ces images qui vous ont donné l’idée d’adapter un livre sur le tremblement de terre de 1906 (de San Francisco, ndlr) pour votre prochain film ?

Brad : (rire) C’était une répétition si vous voulez. Non, j’espère toujours pouvoir faire ce film, mais c’est un projet compliqué. C’est un moment très spécial de l’histoire américaine. Le projet m’intéresse toujours et je suis conscient qu’il faut beaucoup de temps pour préparer ce genre de film, mais je ne suis pas certain de vouloir y gâcher autant d’années de ma vie sur ce sujet là.

J’ai vu que vous aviez eu beaucoup d’idées pour le premier Indestructibles qui n’ont jamais abouti. Est-ce que certaines ont pu être utilisées pour sa suite ?

Brad : Oh, oui. En premier lieu, il y a surtout le combat entre le raton laveur et Jack-Jack. Teddy Newton, un artiste formidable qui a travaillé sur le premier Indestructibles, a eu l’idée à l’époque. Elle m’a tellement plu mais nous n’avions pas eu l’opportunité de le faire.
Sinon, j’avais à la base prévu d’utiliser la baby-sitter de Jack-Jack comme une sécurité au cas où le scénario devenait trop mou ou trop compliqué. J’aurais pu couper l’action et revenir alors sur ces deux personnages. Je n’ai en fin de compte jamais eu l’occasion de le faire et j’ai donc fait le court-métrage bonus qui se trouvait sur le blu-ray. La famille Parr n’avait jamais été confrontée aux pouvoirs multiples de Jack-Jack et ne savait pas qu’il en avait. J’ai pu utiliser cela pour le second film.

Est-ce que c’était difficile de faire le second film après le succès du premier ? Devra-t-on attendre à nouveau quatorze ans pour un troisième ?

Brad : Non, il faudra attendre dix-sept ans (rire). A chaque fois que les gens aiment un film, j’essaye de ne pas regarder sur internet et d’y prêter attention. Je finis quand même par faire l’erreur et je tombe toujours sur des commentaires du type « J’ai adoré le premier, ils n’ont pas intérêt à me décevoir ! ». Ce n’est pas le genre d’attitude qui aide beaucoup, d’un point de vue créatif. Alors, oui, cela peut être déstabilisant.

Je pense que si l’on ne se concentre plus que sur ce que les gens attendent, cela finit par devenir une check-list. J’essaye de me détacher de cela, et je me demande ce que j’aimerais voir en tant que spectateur au cinéma. Cela simplifie le processus et me donne des idées.

John : On va déjà lancer celui-là et on verra pour la suite.

Brad : C’est comme si vous allez à la maternité et que vous demandiez à une dame qui vient de faire seize heures d’accouchement : « Le prochain, c’est pour quand ? », même si l’on a pas encore vu le premier bébé.

Est-ce que le look du film qui ressemble aux années 70 dans sa forme et dans ses références est une volonté nostalgique ?

Brad : Les années 60, plutôt. Les années 60 étaient cool mais les années 70 étaient moches. (rire) Je pense que cela remonte à quand j’étais enfant et c’est quand j’ai vu des films de super-héros. Ce n’était pas très bien fait quand j’étais petit alors, quand je pense aux vilains, à leurs plans et à leurs gadgets, j’ai tendance à penser à des films d’espionnage. Ce sont eux qui m’ont donné de l’inspiration. Quand je pense à Dr. No (James Bond contre Dr No, 1964 ndlr) ou à Goldfinger, ils ressemblaient aux vrais méchants de comics. Ils étaient bien faits ! Ce qui n’était pas le cas de Batman ou Superman à cette époque.

Nicole : Il y avait Jonny Quest !

Brad : Jonny Quest, c’est quelque chose de totalement différent ! C’est ce dont tous les jeunes hommes ont besoin pour s’amuser.

Samuel L. Jackson joue à la fois Frozone dans les Indestructibles et Nick Fury chez Marvel Studios. Est-ce qu’il y aurait pu avoir une rencontre entre les deux ? Et est-ce que vous pourriez faire un film de super-héros un jour en live, pourquoi pas avec Marvel ?

Brad : Avec Samuel L. Jackson, c’est un peu le cas déjà ! On m’a déjà proposé quelques films de super-héros et plusieurs ont cartonné sans ma participation, c’était peut-être bien que je ne les fasse pas (rire). Si je devais faire un film de super-héros, ce serait avec mes propres créations. Il s’agit donc déjà de ce film et cela me suffit comme cela.

Ma question se porte sur la séquence où Elastigirl essaye d’identifier l’Hypnotiseur. Pendant celle-ci, on entend ce personnage qui a un discours assez engagé, voir politique sur le consumérisme ou l’addiction aux écrans. Le problème, c’est qu’il s’agit du méchant du film. Est-ce que vous adhérez, ou pas, à ce message ?

Brad : C’est un peu une mise en abîme, même si elle est déformée. Je crois que les vilains sont meilleurs quand ils ont un point de vue sensé, même si ce qu’ils font n’est pas bien. J’aime quand les méchants ont un minimum de sens. Ils pensent faire des choses justes, sans avoir conscience de leur statut. 

Nicole : Je pense qu’ils sont plus efficaces quand ils sont sympas. Ils sont bien plus intéressants que les méchants qui veulent juste détruire le monde.

Quand le premier film est sorti, de nombreux défis techniques ont dû être relevés au niveau de la peau, des cheveux, des explosions… Quels sont les nouveaux défis à relever en terme d’animation en 2018, que vous aviez relevés pendant la production des Indestructibles 2 ?

Brad : Il y a sans cesse de nouveaux challenges. Nous étions toujours au bord de l’échec pour le premier volet parce que personne n’arrivait à faire cela correctement. Pixar ne le faisait pas bien non plus ! Et nous avions une liste de problèmes à résoudre. Aujourd’hui, le matériel s’est amélioré et l’expérience de l’équipe s’est affinée. Il y a des talents qui viennent du monde entier qui font partie du studio. Mais je pense que le vrai challenge, quel que soit le budget du film, repose sur l’histoire et les personnages. C’est le meilleur des effets spéciaux et le plus difficile à réaliser.

Quel est votre méchant préféré ? Syndrome ou l’Hypnotiseur ?

Brad : On a passé plus de temps avec Syndrome dans le premier film, alors je dirais que je le préfère même si l’Hypnotiseur a de gros atouts.