Critique d’Aladdin,  l’adaptation live du chef-d’œuvre Disney

  • Réalisé par : Guy Ritchie

  • Avec : Mena Massoud, Will Smith, Naomi Scott, Marwan Kenzari, Nassim Pedrad

  • Bande Originale : Alan Menken, Howard Ashmann, Pasek & Paul

  • Durée : 2h08 min

  • Sortie en France le : 22 mai 2019

Aladdin est de retour après vingt-sept ans ! Dans la longue liste des adaptations live de Disney, ce film sonnait comme un pari risqué. Peu de films d’animation exploitent en effet aussi efficacement son média que celui-ci. La version de 1992 possède de la verve, de l’humour et une véritable magie que l’on avait peur de ne pas retrouver dans son adaptation en prises de vue réelles. Véritable performance à l’époque, Aladdin a marqué son époque et de nombreuses générations, au même titre que La Belle et la Bête (qui a aussi fait l’objet d’une adaptation). Si la version de 2019, réalisée par l’anglais Guy Ritchie, reste plaisante et charmante, elle n’évite pas des concessions et maladresses qui surviennent essentiellement en dernière partie.

Aladdin : retour à Agrabah sous la chaleur des Mille et Une Nuits

Aladdin fait partie de la catégorie des adaptations qui prennent modèle sur l’original en y apportant de très légères modifications pour approfondir le sujet. On y trouve pêle-mêle Cendrillon, La Belle et la Bête, Le Livre de la Jungle et bientôt (probablement) Le Roi Lion. Les plus grands films de Disney profitent ainsi d’une version live totalement respectueuse du matériel initial, même si l’originalité peut manquer ; preuve en est de la réussite absolue de ces dessins-animés lors de leurs sorties. John Musker et Ron Clements, réalisateurs de La Princesse et la Grenouille et Vaiana, La Légende du Bout du Monde, livrent ainsi en 1992 ce qui est leur plus grand film, donnant vie avec le Génie à une prouesse de caractérisation que seule l’animation permet : effets spéciaux à gogo, déformations hilarantes, gags visuels à n’en plus finir… Le dessin lui permet tous les abus et lui permet d’entrer dans le cercle des personnages les plus mémorables du cinéma. Plus fort encore, le génie de Robin Williams est immortalisé avec ce rôle inoubliable. Tous ces ingrédients ont contribué à en faire une œuvre singulière qui a traversé les décennies et dont la puissance n’a pas pris une ride. Enfin, il a été une source d’inspiration pour des séquelles (Le Retour de Jafar en 1994, Aladdin et le Roi des Voleurs en 1996) et le sujet est régulièrement repris au cinéma dans d’autres films.

L’adaptation de Guy Ritchie sonne au début comme l’adaptation de trop ; un challenge incontestable pour le réalisateur qui doit osciller entre les rêves de nostalgie des fans et ses propres envies de cinéaste. Le réalisateur britannique, connu pour ses films de braquages (Snatch : Tu braques ou tu raques, Arnaques, Crimes et Botanique) et Sherlock Holmes, a décidé de mixer plusieurs influences orientales pour distinguer l’identité visuelle : le Moyen-Orient pour l’environnement et l’Inde pour les couleurs. La ville d’Agrabah devient le théâtre de ce mélange et elle se transforme en personnage organique, qui vit et évolue au fil des actions du conte. Lumineuse et chaleureuse, foisonnante de détails, elle offre un cadre prolixe à l’exotisme du film. Elle est ici construite au bord de l’eau ; c’est habile puisque non seulement le cadre est esthétisé, mais cela renforce une réalité historique puisque l’orient était connu pour son peuple de marchands. Agrabah est au croisement des chemins, sur la route du commerce… au centre des intrigues millénaires. On s’imagine alors plus facilement la richesse de ce lieu qui peut mêler de nombreuses intrigues, à la fois mystérieux et accueillant, inquiétant et chaleureux.

Aladdin incarne le chemin vers la diversité qu’a emprunté Hollywood

L’autre nouveauté vient du personnage de Jasmine. C’est simple, elle éclipse tous les autres quand elle est à l’écran. Elle était en 1992 une princesse somme-toute passive (surtout après la révolution d’Ariel dans La Petite Sirène) bien qu’elle ait tenté de déjouer à plusieurs reprises son rang social. En 2019, elle est devenue une femme bien plus déterminée à se faire entendre ; une femme combative qui a des convictions et qui se donne les moyens de les réaliser. Elle n’est plus le même personnage que l’original tant son évolution est importante, ne se contentant plus de lancer quelques phrases clés. Elle est devenue la princesse la plus représentative de notre époque, un modèle de féminisme qui fait plaisir à voir et qui va devenir la référence pour les années à venir. Naomi Scott incarne avec finesse une Jasmine espiègle et lumineuse et crève littéralement l’écran. Son histoire est contée comme une émancipation progressive et crédible, qui s’achève à son paroxysme par un numéro musical salvateur qui justifie à lui tout seul ce remake. L’actrice britannique ne laisse finalement aucune miette pour ses collègues à l’écran et vole le spectacle à chaque fois qu’elle est présente.

C’est un peu plus mitigé pour les autres personnages, hélas (exception notable du Génie, sur lequel nous revenons plus loin). Aladdin a perdu un peu de charisme dans la nécessité d’en faire un personnage plus réaliste et ce n’est pas nécessairement la faute à Mena Massoud qui l’incarne et qui se donne à fond. Sa transformation en prise de vue réelle le rend très lisse et sans aucune nuance. On perd un peu la fougue et la drôlerie du personnage. Néanmoins, Disney a fait le choix d’offrir le rôle à un quasi-débutant, un canadien d’origine égyptienne, ce qui est judicieux pour la diversité du film qui n’aurait pas pu supporter le white-washing. Hollywood est en train de changer et Disney mène le cortège de l’inclusion tambour battant, ce qui n’est pas pour nous déplaire.

En face d’Aladdin, on retrouve Jafar en méchant emblématique et mythique (presque tout autant que le Génie). Marwan Kenzari, acteur néerlandais d’origine tunisienne, donne ainsi la réplique à Mena Massoud. Sur le papier, la réécriture du personnage fonctionne et a du sens : il est un miroir d’Aladdin et partage avec lui les mêmes origines modestes. Il est porté par l’ambition de renverser le pouvoir pour le prendre, comme une revanche (et une évolution) sur son passé de voleur. Le film ouvre la question de l’intéressement des gens, de leur envie de réussir qui peut les mener vers une voie très sombre. D’un côté, on retrouve Aladdin dont l’identité reste pure et de l’autre, Jafar qui a rejeté son humanisme dans le seul but de réussir. Les deux personnages existent ensemble, en parallèle et se nourrissent du développement de l’un et de l’autre. Mais… si sur le papier cette idée fonctionne, l’exécution à l’écran ne prend pas. Marwan Kenzari est trop jeune et n’inspire ni la crainte ni la répulsion. Sa performance n’est pas crédible non plus car elle verse dans l’exagération et l’acteur donne la sensation de surjouer presque à chaque fois qu’il est à l’écran.

On retrouve également les compagnons de nos héros : Abu qui reste amusant et facétieux, Tapis Volant qui est très amusant et plus incarné que la version originale, Raja qui fait de la figuration et Iago qui ne sert que de faire-valoir à Jafar (donc, sans grand intérêt).

Will Smith incarne un Génie convainquant

Il nous faut nous attarder un peu sur le Génie de Will Smith. Beaucoup de choses ont été dites avant la sortie du film et peu de spectateurs étaient prêts à lui laisser une chance. L’acteur était bien conscient de cela et de la difficulté à succéder à Robin Williams. Il a évoqué plusieurs fois les angoisses qu’il a ressenti à prendre la relève, ne sachant pas exactement quel ton lui donner pour apporter quelque chose de neuf. Sa rédemption s’est révélée quand il a compris qu’il ne devait pas reprendre le style de Robin Williams mais lui insuffler sa propre personnalité. C’est spécifiquement pour cela que Guy Ritchie s’est d’ailleurs tourné vers lui. Le Génie est ici plus hip-hop et contemporain que son modèle et paradoxalement plus humain. Son incarnation tout en bleu tranche avec sa version humanisée et le contraste est d’autant plus frappant. Will Smith est généreux et survolté quand il le faut sans aller dans les exagérations du modèle tandis que sa patte ajoute une fraîcheur au personnage. Il est encore plus juste dans les numéros musicaux où sa voix fait des merveilles sur la nouvelle réorchestration pop de la bande originale. Dommage que les effets spéciaux ne suivent pas toujours et on peut ressentir une gêne sur la « version » bleue du personnage : on est très souvent dans la vallée de l’étrange et le fixer dans les yeux donne un sentiment désincarné très présent et dérangeant. Sans ce bémol, nous n’aurions rien à dire de sa réécriture. Son histoire a même été complétée par une intrigue secondaire, qui renforce le romantisme du film. Malgré des effets ratés, ce n’est déjà pas si mal.

Aladdin est un film magique mais inégal

Sans surprise, le scénario suit la trace de la version animée en s’y rapprochant au maximum. Comme il y a vingt-sept ans, on embarque volontiers dans son univers et on y prend beaucoup de plaisir… jusqu’à ce que l’on arrive sur le dernier tiers. Dans le chapitre final, l’histoire se permet de nombreuses omissions et facilités. Jafar aurait pu être développé dans cet acte, mais Guy Ritchie ne saute jamais sur l’occasion. Passé le numéro musical de Jasmine, le film retombe un peu comme un soufflet alors que la tension devrait être à son comble. La satire originale sur le pouvoir est complètement délaissée et cela se résume à une simple bataille, en plus assez brouillonne. C’est dommage, car sans climax véritable, la conclusion se fait sans réelle émotion.

Du côté musical, Alan Menken signe son retour pour la réorchestration du film. Les paroles des chansons ont été parfois réécrites et complétées, mais cela se fait naturellement. Les voix sont très proches du dessin animé et on est en terrain connu. C’est très agréable et le petit côté pop et hip-hop en plus ajoute une nouvelle couleur artistique que l’on apprécie découvrir. Difficile de trouver quelque chose à redire puisque la bande son d’Alan Menken et Howard Ashmann était déjà parfaite en 1992. Speechless (Parler en version française) a quant à elle été écrite par Pasek et Paul, duo derrière La La Land et The Greatest Showman. Elle dénote un peu des autres, mais la puissance évocatrice est si forte qu’elle est un ajout solide. A vrai dire, cette chanson est même notre coup de cœur et on espère qu’elle connaîtra une belle carrière indépendante (comme Libérée Délivrée… on peut toujours rêver).
Les chorégraphies sont magnifiques, avec de très nombreux figurants présents à l’écran. On y évoque aussi bien l’âge d’or d’Hollywood, à l’époque bénie des comédies musicales pharaoniques, que du cinéma de Bollywood avec toutes des couleurs saturées et un peps improbable (pas étonnant les costumes sont inspirés de l’Inde). On s’amuse, on chantonne avec le film et l’énergie est palpable.

Au final, Aladdin est une sorte de patchwork artistique et technique. Cela marche souvent bien, il y a parfois de belles envolées et des émotions sincères, mais on y côtoie aussi des approximations et des facilités qui entachent le plaisir. Rien de bien grave, le film reste divertissant et la réécriture de Jasmine lui permet de s’élever, mais on ne peut s’empêcher de se dire que si Jafar avait été mieux incarné, la qualité aurait aussi fait un bon…

Dois-je aller voir Aladdin ?

Ne vous laissez pas influencer par les avis négatifs (qui datent d’avant la sortie du film !) et allez voir le film, vous nous remercierez. Il est divertissant, coloré et dynamique : tout pour passer un bon moment malgré quelques écueils dans le scénario et son développement. Will Smith est une bonne surprise et devient un Génie convainquant, et Jasmine… Ah, Jasmine : tout simplement la meilleure Princesse Disney contemporaine, et ce n’est pas un petit compliment !

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On a aimé

  • La réécriture de Jasmine portée par l’éblouissante Naomi Scott

  • Will Smith en Génie

  • La réorchestration des chansons et musiques

On n’a pas aimé

  • Jafar : Marwan Kenzari est une erreur de casting

  • Une réalisation technique inégale

  • Un dernier acte bâclé rempli de facilités