Un Raccourci dans le Temps : des hauts et beaucoup de bas

  • Réalisé par : Ava DuVernay

  • Bande Originale : Ramin Djawadi

  • Durée : 1h49 min

  • Sortie en France le : 14 mars 2018

Le roman original Un Raccourci dans le Temps est issu de l’imagination fertile de l’écrivaine américaine Madeleine L’Engle en 1962. Avec plus de vingt-six millions d’exemplaire vendus, il est devenu un véritable phénomène et un pan important de la culture US. Il est même lu, étudié et décortiqué à l’école, là-bas ! Sorti en pleine Guerre froide, on peut le voir comme le véritable ancêtre de toutes les sagas littéraires modernes. Complexe, il emprunte à la fois à la science-fiction et à la fantaisie pour parler de spiritualité à de jeunes lecteurs.

Ava DuVernay, la réalisatrice afro-américaine (et féministe engagée), a porté sur ses épaules l’adaptation, presque impossible au demeurant, de ce livre historique… et même si son film finit par trébucher à cause d’un rythme non maîtrisé et d’une histoire difficile à suivre, ses bonnes intentions et son message positif le sauve du naufrage.

Une adaptation fidèle au livre original

Meg Murry est une petite fille qui manque cruellement d’assurance et qui tente de trouver sa place. Extrêmement intelligente, car ses parents sont de grands scientifiques, elle part avec Charles Wallace, son petit frère, et un ami de classe, Calin O’Keefe, dans un périple à travers l’univers pour retrouver son père disparu.

Un Raccourci dans le Temps est l’adaptation fidèle du livre éponyme dont il est tiré. Il en reprend la structure et les personnages en ne faisant des changements que mineurs à la narration, afin de rendre son propos plus contemporain. Exit alors les extraits de la Bible ou la critique directe du communisme (le livre était sorti pendant la Guerre froide), le film se concentre en effet sur plusieurs messages universels, parlant de la place de l’Homme dans l’univers et de soi-même par rapport aux autres. Par le prisme de la science-fiction, il délivre ainsi un propos intimiste assez surprenant pour un blockbuster de cette envergure.

Si je parle déjà du message du film, c’est parce qu’il s’agit de l’élément incontestablement le plus réussi. C’est ce que l’on retiendra essentiellement de la projection, bien au-delà des personnages et du déroulement de l’histoire plutôt déroutants. C’est un véritable parcours initiatique, dans lequel l’héroïne Meg Murry (Storm Reid, vue également dans 12 Years a Slave de Steve McQueen) prendra au fur et à mesure conscience de sa place dans l’univers. Le message dégage une vraie lumière face au pessimisme et on sent pleinement que chaque acteur, tous très investis, y croyait. Par miroir, c’est une leçon de vie qui est donnée aux plus jeunes spectateurs : la confiance en soi se gagne. Elle n’est pas naturelle et elle vient de l’acceptation de ses propres défauts ; ces mêmes défauts qui font de nous des personnes uniques. Il ne faut pas hésiter à se mettre volontairement en danger et affirmer son attachement et son amour aux autres, même si cela revient à s’exposer.

Ce message est traité de manière très efficace, à travers un cheminement logique et scientifique, surtout dans la seconde partie du long métrage, qui a lieu dans un espace plus petit pour bien mettre en avant les personnages. Parfois, cela manque un peu de subtilité et j’ai eu de temps en temps la sensation que le message nous était martelé à degré plus ou moins variable à chaque séquence, mais il fonctionne bien et il a le mérite d’être assez unique.

Des personnages étranges, inégaux, et parfois gênants

Le message cohérent met par contre en emphase un gros problème de rythme. On passe d’une séquence à l’autre en un clin d’œil, si bien qu’il est difficile de suivre et d’appréhender le scénario. On ne comprend parfois pas ce qu’il s’y passe et on se retrouve très vite perdu. Très vite, on reprochera au film sa narration confuse, qui alourdit inutilement et le fait boursoufler. Un Raccourci dans le Temps veut en faire trop, toujours et tout le temps, à l’image de ces trois personnages célestes que sont Madame Quiproquo (Reese Witherspoon), Madame Qui (Mindy Kalling) et Madame Quidam (Oprah Winfrey). C’est simple : les passages où elles sont à l’écran sont les plus faiblards du film. Leurs allures, comportements, coiffures… tout concourt à les mettre hors propos. On se focalise alors plus sur elles et cela nous tire hors du film lui-même. C’est particulièrement regrettable vu leur importance capitale dans le scénario. Pire encore, leurs allures frôlent le mauvais goût ! Elles sont particulièrement présentes lorsque les enfants visiteront la planète Uriel, un univers onirique qui rappelle Le Magicien d’Oz et Alice au Pays des Merveilles… ce qui résulte au plus faible passage de tout le film. Fort heureusement, elles ne sont plus si importantes ensuite et restent presque absentes de la seconde partie… mais le mal est fait.

La petite Meg Murry (campée par la jeune Storm Reid) a bien du mal à exister face à ces personnages si exubérants. Mais elle porte tout le poids du film sur ses épaules et gagne en présence au fur à mesure du film. Très expressive, elle n’a pas besoin de communiquer avec des mots pour transmettre ses émotions. Les jeunes spectateurs s’identifieront facilement à elle. Il en sera un peu autrement pour son petit frère, Charles Wallace (Deric McCabe), moins développé que dans le livre. A cause de son phrasé trop en avance sur son âge, il sera plus difficile de se projeter en lui. Son parcours lui retire également une partie de l’empathie que l’on pourrait ressentir, même s’il sait être mignon lors de passages plus légers.

Enfin, pour clore le chapitre des protagonistes principaux, Calvin O’Keefe est le moins développé de tous. Il se liera d’amitié avec les enfants Murry, jusqu’à débuter une petite romance avec Meg. Il sert parfaitement d’équilibre entre Meg, perdue et incertaine pendant une bonne partie du film, et Charles Wallace.

Pour les seconds rôles, nous trouvons les parents de Meg et Charles Wallace, campés par Chris Pine Gugu Mbatha-Raw. Ils forment un couple idéal et l’alchimie entre les deux personnages fonctionnent bien, cette fois plus approfondis dans le film que dans le livre. Zach Galifianakis est quant à lui le Medium Heureux, ami de Madame Quiproquo, Madame Qui et Madame Quidam. Autant le dire tout de suite : il fait de son mieux, mais il est tout aussi gênant que ses consœurs. Les créatures célestes vivent très mal le passage sur grand écran…

Un film porté par des femmes

Si l’on a des difficultés à s’attacher aux personnages et si l’on a du mal à suivre le scénario désordonné, on ne peut en revanche que saluer les motivations de l’équipe en charge. Composée essentiellement de femmes, le film prône la diversité à tous les niveaux. Pour Ava DuVernay, la réalisatrice afro-américaine, le casting était vite vu : « Reese est une productrice hollywoodienne hors pair. Oprah est une légende de la télévision, très prolifique et vénérée, ainsi qu’une artiste et une femme d’affaires. Et Mindy est l’une des seules femmes à avoir une série à son nom, sur elle-même (…) J’ai pensé que ces trois femmes pourraient former un ensemble d’êtres célestes, ça me semblait parfait. »

Hollywood s’est vite empressé de qualifier le film de féministe. Il s’agit du cinquième film d’Ava DuVernay, qui avait réalisée Selma, nommé aux Oscars en 2015 pour le film de l’année, mais hélas, il ne se montre jamais à la hauteur de ses ambitions. Si c’est effectivement la première fois qu’une femme noire est à la tête d’un projet à plus de cent millions de dollars, cela semble finalement assez vain et cela ne doit pas être un argument permettant de juger de sa qualité. Le marketing s’est vite emparé de ce record pour tenter de vendre le film et c’est plutôt cynique après les scandales à répétition qui secouent actuellement le monde du cinéma… Une vraie contradiction et déception face au message positif que met en image Un Raccourci dans le Temps.

On aurait souhaité aimer le film davantage et sa diversité aurait pu contribuer à en faire une œuvre plus belle encore, mais en l’état, il s’agit surtout d’une série de rendez-vous manqués, parfois plaisants, mais souvent vains, à cause d’une volonté d’en faire trop.
Mais puisque la production live de Disney se résume aujourd’hui à des remakes et des suites, un pari plus risqué comme celui-ci doit s’apprécier malgré ses défauts. Nous saluons cet effort car même si cela ne marche pas toujours, les œuvres originales, uniques et un peu folles, font partie de l’ADN transmis par Walt Disney.

Alors, on recommande Un Raccourci dans le Temps ?

C’est assez difficile de répondre clairement. Le film ne trouvera probablement pas son public facilement : il est coincé entre plusieurs genres et ne les développe jamais. On se retrouve face à des scénettes difficilement liées les unes aux autres, souvent sous un déluge d’effets accessoires qui ne servent pas le propos général. Pourtant, son message fonctionne et on ne peut que louer sa sincérité et sa lucidité. A cause des risques pris et au-delà des gamelles et des erreurs qu’il commet, Un Raccourci dans le Temps est une bouffée d’air frais dans la filmographie Disney depuis 2015, jonchée de suites, remakes et adaptations. On ne peut que saluer cet effort et se dire que l’audace, même si elle ne paye pas toujours, reste une nécessite dans une industrie du cinéma parfois moribonde.

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On a aimé

  • Le message positif et universel

  • La beauté de la photographie

  • Un film créé et porté par des femmes !

On n’a pas aimé

  • Le rythme asthmatique du film

  • Des actions difficilement lisibles et parfois incompréhensibles

  • Madame Quiproqui, Madame Qui et Madame Quidame : on fleure parfois le mauvais goût

  • Un mélange de genre assez bancal (la faute au livre plus qu’au film…)