Rencontre avec les voix françaises des Indestructibles 2 : Amanda Lear, Louane Emera et Gérard Lanvin

Est-ce que c’est la perspective d’être un super-héros ou celle d’un homme au foyer qui vous a donné envie d’incarner Bob Parr / M. Indestructible ?

Gérard Lanvin : Un super-héros. Homme au foyer, je le suis depuis longtemps, donc super-héros, ça m’a fait des vacances.

Amanda, vous retrouvez le personnage d’Edna Mode qui n’avait que quelques scènes dans le premier et quelques-unes dans le second. Elle est vite devenue un personnage mythique.

Amanda Lear : Je trouve qu’ils ont mis longtemps à faire le deux, vu mon espérance de vie j’espérais quand même être dans le deuxième. Depuis quatorze ans, et c’est très curieux car ce petit personnage secondaire qui n’a pas de super-pouvoir, est devenu culte. Des tas de personnes sont tombées amoureuses de cette petite bonne femme, assez désagréable, et finalement, les gens me disent « C’est ton meilleur rôle, il faut absolument que tu refasses Edna. » J’attendais donc avec impatience son retour.

Vous vous souvenez de votre première rencontre avec elle ?

Amanda : Je l’ai trouvée moche. Je n’ai pas compris quand je l’ai vue la première fois, parce qu’on a toujours tendance à croire qu’il faut qu’on ressemble physiquement au personnage. Evidemment, comme ce n’est pas le cas, je ne me suis pas imaginée une seconde que je pouvais entrer dans son caractère qui est bien trempé et qui ne supporte pas la contradiction. Mais après, cela s’est bien passé.

Louane, racontez-nous un peu comment cela se passe. Comment est-ce que l’on est appelé pour incarner la nouvelle Violette française des Indestructibles ?

Louane Emera : Alors, déjà, les studios Disney et Pixar savaient que j’avais envie de travailler avec eux depuis longtemps. Ils m’ont demandé de faire des essais. J’étais très, très heureuse. Je n’ai rien dit à personne, je suis allée faire les essais puis j’ai appelé mes sœurs en leur disant que j’allais faire le plus grand rêve de ma vie. Elles me répondent direct du tac au tac « Disney ? ». Ça fait un gros sentiment de fierté.

Est-ce que vous pensez que vos voix respectives ont un super-pouvoir ?

Gérard : Oui (rire). Je pense que tous les trois on a des voix. On n’y peut rien, c’est un don. On l’a reçu et on s’en sert. On nous l’a fait découvrir et on ne le savait pas. On a notre voix et à un moment, on nous dit « Tu as une voix intéressante ». C’est à ce moment-là que l’on prend conscience que la voix pour un acteur est fondamentale et indispensable, parce qu’elle fait souvent la différence. Elle donne l’énergie.

Amanda :  C’est un super-pouvoir. Je vous assure qu’il y a des voix qui vous calment, qui vous guérissent.

Louane : Moi c’est différent parce que j’ai vraiment commencé par la musique. J’ai commencé par chanter parce que j’aimais ça. Je n’ai pas compris tout de suite ce que cela pouvait faire. Mais on le comprend quand on regarde le visage des gens. C’est ça que je capte.

J’aimerais savoir si en vous il y a un Indestructible ?

Amanda : Moi, je vous répondrais oui. Parce qu’on vit dans une société où, facilement, on essaye de nous détruire, avec les problèmes, les envies, les jalousies, les rivalités, le quotidien, etc. Donc, on pourrait facilement se laisser détruire. C’est ce qu’on appelle le burn-out, je ne sais pas. Il faut s’efforcer avec une certaine force mentale d’être indestructible. Enfin je ne le suis pas, mais j’essaye.

Louane : Je pense que mon indestructibilité est due à l’entourage que j’ai. Ma famille, mes amis, les gens avec qui je travaille. C’est grâce à cela que j’ai de la force, je pense.

Gérard : Un artiste n’est pas sûr de lui. Il ne faut pas croire ça. Nous, on est à disposition. Et quand les gens critiquent le travail que l’on fait, on l’admet totalement parce qu’on se met en avant. Il faut savoir juste une chose : Amanda, autant que Louane et que moi, nous faisons juste un boulot pour faire plaisir aux autres, pour distraire les gens. Cela ne mérite pas l’ambiance à la méchanceté, à la critique obligatoire et obligée. J’ai beaucoup d’admiration pour Amanda Lear parce que c’est une personne qui évolue dans un système difficile. Elle a toujours été présente avec beaucoup de recul, de fragilité mais aussi de force. Je souhaite à Louane le même parcours, à long terme. Ce sont des parcours dont il faut comprendre la difficulté et l’assumer. Parce que c’est bien de notre faute si on est là (rire).

Est-ce que la Louane adolescente a des points communs avec Violette ?

Louane : La Louane adolescente oui, mais moi aujourd’hui non. Le côté ado rebelle, le manque de confiance en soi…

Amanda : Tu étais, toi aussi, amoureuse d’un serveur de hamburger ? (rire)

Louane : Franchement oui, c’était cool. Je ne pense pas que c’est moi adolescente, mais l’adolescence en général. On a tous à un moment envie de mettre des coups de tête, pour des raisons différentes. On a l’impression que le monde est contre nous. J’en parle parce que j’y étais il n’y a pas si longtemps.

Louane et Gérard, vous avez tous les deux repris la voix de Violette et Bob, qui étaient interprétées par d’autres acteurs (Lorie/Laure Pester et Marc Alfos, ndlr). Est-ce que vous vous êtes inspirés des prestations du premier film ? Est-ce que cela a été difficile d’entrer dans la peau de vos personnages ? Comment est-ce que vous avez géré ces nouveaux personnages alors qu’ils ont déjà été interprétés par des autres ?

Louane : On ne peut pas vraiment se calquer sur quelqu’un. On a des voix trop différentes des acteurs qui étaient là avant nous. J’y suis allée de façon fraîche, comme si c’était la première fois que Violette existait, même si ce n’était pas le cas. En vérité, c’est la directrice artistique, Barbara, qui m’a le plus aidé. Elle était là pour me guider, je crois. Et toi ?

Gérard : Moi, j’en suis sûr (rire). Je dis à Barbara un grand merci parce que c’est quelqu’un de formidable. Il y avait Boualem aussi, et Virginie, bien sûr. On s’enferme dans le noir pendant trois jours avec des gens qui savent ce qu’ils veulent obtenir. Il ne faut jamais aller vers les trucs d’origine, même pour un film (il y a des remakes qu’on fait parfois qui sont malheureusement souvent ratés). Parce qu’on ne nous demande pas de faire l’identique. C’est à vous de créer une émotion, à partir de votre personnalité, de vos sens de l’observation. Avec la voix, il a fallu un peu la travailler. C’est-à-dire la remonter un peu ; vous n’êtes pas dans les graves par rapport au physique de ce personnage, etc. Comme Amanda, j’espère qu’on ne va pas attendre quatorze ans pour en faire un troisième… parce que je serais comme elle, on sera dans un endroit où on nous laisserait en paix et vous ne nous verrez pas.

Amanda : C’est vrai qu’on ne fait pas un travail d’imitateur. On ne cherche pas à imiter totalement la voix originale. Notre voix n’est pas celle de l’originale mais on essaye de rentrer dans le caractère et les intentions du personnage.

Comme un personnage de fiction, vous considérez que vous jouez un rôle ?

Gérard : C’est un rôle ! Il est plus facile de faire un rôle au cinéma. Parce que là, vous devez contrôler l’image, vous devez contrôler le texte, c’est-à-dire le rythme aussi. Vous devez contrôler tout ça sans jamais avoir eu le moindre contact avec le truc. Si c’est le mardi, on vous dit voilà, vous le faites le mardi, mercredi et jeudi. C’est là où l’on découvre tout. Sur une des images aussi pointues, des expressions aussi bien jouées, il faut être très attentif au jeu du personnage, contrairement par exemple à L’Âge de Glace où pour Manny, qui est un mammouth, on ne travaille qu’avec les yeux. Là, il faut travailler avec les mouvements des lèvres et d’autres détails. C’est un gros travail de comédien.

Amanda : Surtout, on n’a pas comme au théâtre des mois de répétitions avant pour entrer dans le personnage. Là, c’est immédiat, il faut tout de suite être dans le rôle. 

La morale de l’histoire, c’est qu’on a besoin de super-héros pour que le monde tourne. Est-ce que dans la vraie vie, on en a aussi besoin ?

Louane : Sans la famille, la fin serait moins réjouissante. Les super-héros sont le thème du film, mais le vrai message, c’est à quel point la famille est importante et que l’on peut compter les uns sur les autres. C’est comme ça que l’on triomphe. Le vrai message du film, ce n’est pas que les super-héros rendent la vie meilleure, c’est qu’ensemble, on peut la rendre meilleure.

Est-ce que, quand vous jouez des voix, par rapport à un rôle où vous jouez avec votre corps, vous avez le sentiment d’avoir plus ou moins de contraintes ? Et plus ou moins de liberté ? Est-ce que vous êtes tenus davantage de coller au personnage, tel que vous avez à interpréter ?

Gérard : On a plus de contraintes, ça c’est clair. Il y a deux façons de travailler au cinéma : comédien et acteur. Ce n’est pas du tout la même chose. Les acteurs travaillent avec leur personnalité. Les comédiens ont eu besoin d’apprendre tout ça. Il y a des aptitudes, ou pas, à avoir au départ et ce n’est pas le cas pour le dessin animé. Il y a une technicité à comprendre et il faut après avoir le sens du jeu, par rapport à ce que l’on vous propose de jouer. C’est assez difficile en fait, par rapport au métier d’acteur devant une caméra. Je pense que c’est plus pointu comme travail.

Je voulais savoir si le message de tolérance et de l’acceptation de l’autre avait une importance particulière pour les uns et les autres et une question pour Amanda : est-ce que vous avez déjà croisé des Edna Mode dans votre carrière ?

Amanda : On en croise partout, des bonnes femmes comme ça, péremptoires, madame je-sais-tout, ou tout ce qu’elles disent ne se discute pas… « C’est comme ça, c’est moi qui décide »… Il y en a un petit peu partout. Mais c’est un personnage féminin qu’on trouve de plus en plus dans nos sociétés et pas seulement dans la mode, dans le business, dans la restauration… partout dans notre société. Les super-héros dans le film ont été mis à l’écart, comme des gens anormaux qu’on ne veut pas voir. Là, dans ce film, on essaye de les remettre sur le devant de la scène, de les sortir de leur cachette et c’est ce qui se passe aujourd’hui avec les gens différents. On les cache, on ne veut pas trop en parler. Et c’est très bien. Les Pixar suivent beaucoup la société et ce qu’il se passe.

SPOILER

Louane : Il y a ça à plusieurs niveaux. Quand on parle des super-héros, mais aussi pour mon personnage. Le fait d’être démasquée, d’assumer qui elle est et qu’elle est une sorte de double identité… Il y a un vrai message d’acceptation de soi en plus du message de l’acceptation de l’autre. Il y a énormément de messages qui essayent d’expliquer aux enfants ou aux adultes aussi, qu’il faut vraiment commencer à accepter les différences sans appliquer de jugement. Chez Pixar, il y a de grosses valeurs et cela fait du bien de voir cela dans les films d’animation et se dire que ce genre de chose passent par l’éducation des enfants.

Est-ce que vous voyez ce film comme féministe, dans la mesure où l’héroïne est une femme et l’homme est au foyer ?

Louane : Je ne sais pas s’il est féministe pour moi. Je pense qu’il est vraiment humaniste. Ça permet de montrer qu’il y a des familles différentes et aujourd’hui en 2018, c’est pas forcément la maman à la maison et le papa qui travaille. Il y a plein de types et de schémas de familles différentes. Je ne pense pas que ce soit si féministe que ça, et que c’est plus large. Il parle d’égalitarisme, qui est presque omniprésent. Plus d’humanisme que de féminisme. On parle du partage des tâches et pas du pouvoir aux femmes. C’est le partage, le vivre ensemble et l’acceptation des différences. Et le non-jugement.

SPOILER

Amanda : C’est vrai que pour la première fois, le super-héros est au chômage et il reste à la maison à donner le biberon aux enfants pendant que c’est sa femme qui part en mission et qui travaille. C’est nouveau et à présent, c’était plutôt le contraire. On peut dire que c’est féministe, peut-être. En tout cas, il ne se débrouille pas très bien, la preuve est qu’il est obligé de demandé de l’aide à Edna.

J’en reviens au travail technique dont parlait Gérard. Est-ce que vous bougez quand vous faites les voix des personnages ? Comment cela se passe avec votre corps ? Vous dites également que vous avez travaillé votre voix, notamment Gérard, est-ce que vous pouvez nous donner deux-trois trucs ?

Gérard : Il n’y a pas de truc particulier, il y a un travail que l’on fait ensemble, en équipe avec Barbara, Boualem et Virginie. On arrive à trouver le ton exact au bout d’un moment. Après, on a le personnage et tout va bien. C’est vrai qu’on ne découvre rien avant, c’est le jour où on le fait. Ce serait intéressant d’avoir le film une semaine avant, juste pour regarder les expressions. Parce qu’entre la rythmo et les expressions, vous n’avez pas le temps et vous êtes concentrés sur du jeu et il faut le saisir furtivement. C’est complexe. Il y a un léger manque à ne pas voir le film avant. Ce qu’on voit souvent est en anglais. Louane, je l’ai entendue en anglais. Amanda, je l’ai entendue avec sa voix.

Louane : Je suis la dernière à avoir fait le doublage et j’ai eu la chance d’avoir leurs voix.

Gérard : On ne sait pas comment l’autre va répondre. On a découvert cela lors de la première en fait. Est-ce qu’on a bien travaillé ou pas ? Mais on a été rassuré par les gens qui ont travaillé avec nous, qui sont d’une telle générosité, exactitude et professionnalisme qu’on ne peut que leur faire confiance. Ils ont les mots pour ça. On a toujours besoin d’un tôlier, dans n’importe quelle situation. On a eu cette équipe qui nous a permis d’aller vers ce qu’ils idéalisaient le plus chez nous : la voix, mais pas forcément une voix comme j’ai parce que l’âge, la vie, les énervements la transforment et elle devient de plus en plus grave. Il a fallu remonter dans les médiums, après on choppe le personnage et la voix devient naturelle. C’est aussi bête que ça.
Pour bouger, bien sûr. Pour donner l’énergie là où il faut la donner. S’il bouge, on doit bouger.

Louane : Quand elle fait un champ de force, Violette a ce cri qui fait « uh » qui est assez bizarre, et pour donner l’intonation, je le faisais vraiment pour sortir un champ de force imaginaire. Quand elle prend un coup, c’est presque le même bruit mais pas c’est pas pareil. 

Amanda : C’est très difficile, toutes les petites onomatopées.

Louane : Il y a tout le temps écrit des « h » avec une flèche vers le haut ou vers le bas. C’est de nombreux micro détails qu’il faut apprendre.